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BLUESVILLE ou chroniques d'une débutante...
21 décembre 2006

GELS DOUCHE FANTAISIE VERSUS DENTIFRICE DE BASE

« Gels douche fantaisie versus Dentifrice de base »

« The Shield » : série américaine se passant dans la banlieue de L.A. chaude et fictive de « Farminton ». Une bande de quatre ripoux qui font le bien et le mal en même temps : ils aident les petits et moyens trafics (d’armes et de drogue), afin de coincer les grands ; en prenant toujours une part personnelle sur les prises au passage. C’est une série qui s’efforce de rendre chaque personnage complexe, au dossier psychologique massif, mais fin à la fois, épais mais subtil. Impossible de ne pas s’attacher au pire personnage corrompu ou de considérer comme irréprochable n’importe quel personnage de la série. Tout est fait pour que le spectateur confonde corruption de l’âme avec action donc aventure, donc rêve. Le tout mélangé à une tonne d’humanité garnie d’explications socio-économiques : la galère, la misère du peuple, la paupérisation des fonctionnaires, la discrimination, le « pas de chance » pour lot de naissance et la violence, comme réaction légitime.

Tout accroc à cette série trouve très vite sa vie terriblement plate. Et rêve de vivre au milieu des gangsters. Enfin j’avais trouvé un attrait objectif à Bluesville… En effet, à Paris derrière Notre-Dame, on a peu de chances de se déchirer soi-même dans un dilemme tortueux et infernal entre le bien et le mal, la misère ou le délit. On n’est pas des laissés pour compte : la beauté prestigieuse et millénaire des monuments est plantée là. Les touristes grouillent,  contemplatifs. Les riches propriétaires parisiens et de plus en plus américains y vivent. Les flics sont plus que là. On ne se sent jamais seul le couteau sous la gorge. Les brûleurs de voitures de banlieue brûlent les voitures de… banlieue. Bref là-bas, à Paris, dans mon quartier de bobos : rien, nada. Mais ici, à Bluesville…A Bluesville, c’est tout un poème : les gens quand ils ouvrent la bouche, c’est déjà violent. A l’encontre des bonnes vieilles règles de français, après, celles de la justice. Ici, blancs bruns noirs ou jaunes « sont » le milieu populaire. Ils n’en sont pas issus, ils y restent. Ils n’ont pas d’argent, pas de culture mais ils ont l’alcool, le shit et les bars PMU pour se consoler. Ou le vol. Mais ce qui est bien ici, c’est lorsque les gens se croisent, ils se parlent, même si ça ne dure que quelques minutes. Pas parce qu’ils se connaissent de nom. Mais de condition. A propos de tout et de rien, dans la rue ou dans les transports, les laveries, comme je vous l’ai déjà dit, ou…les Monoprix.

Un jour, sous l’emprise d’un affreux dilemme -gel douche bourjois « Bonheur de mousse» ou « Sensuelle » ?- j’étais coincée en pleine aporie hygiénique : cul-de-sac de la pensée. C’est alors que je me souvins d’un coup que m’avait enseigné une de mes meilleurs amies d’hypokhâgne. Il suffisait d’interchanger fugacement et avec dextérité le 2e produit identique par l’autre. J’avais réussi à le faire du premier coup sans problème. Mais après une pure réflexion féminine, j’optai finalement pour un tout autre produit, plus lucide : le « Soyons fermes ». J’eus plus de mal à répéter l’opération. Je le fis donc assez grossièrement en me déplaçant seulement d’un rayon : dentifrices et brosses à dents. Un jeune homme vêtu style racaille, seul dans le rayon, me vit en train de faire mais aussi que je ne faisais absolument rien pour me dérober de son regard : je pars du principe que nous sommes tous des arnaqués du système et que nous devrions être solidaires. Il comprit le message puisqu’il me demanda : « Vous croyez que je peux sortir avec ces dentifrices sans que ça ne sonne ? ».

Il était jeune et angoissé. Sa question, malgré ses multiples variantes, jouait le même écho de la peur : « Est-ce que vous pensez que je vais me faire attraper ? ». Je lui répondis que je n’en savais rien, car après tout j’allais pour ma part payer quand même, mais lui conseillai tout de même de se méfier des codes barres, on ne sait jamais. Après quelques concertations d’amateurs à voix basse tandis que je feignais de chercher la brosse à dents idéale, mon compagnon de rayon finit par enlever l’emballage et les dissimula. Il me demanda derechef si je pensais que c’était bon. Et comme si nous parlions de savoir si je pensais que tel film en ce moment au cinéma était bien, je lui répondis « oui ». Il me quitta en me disant poliment au revoir, je fis de même avec le ton d’un « bonne chance » dissimulé.

Je réalisai en méditant à la caisse, à quel point nous étions inégaux devant l’acte même de voler. Certains volent pour pouvoir se brosser les dents. D’autres parce qu’ils aimeraient diversifier leur lot de produits de marque en promo.

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Commentaires
BLUESVILLE ou chroniques d'une débutante...
  • Bluesville, c'est une ville où on ne choisit pas de naître : ce n'est pas la pire au monde, mais... elle ne donne pas envie non plus. Bluesville, c'est aussi bien sûr la ville où moi, jeune professeur stagiaire, j'ai été affectée par l'Education nationale.
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